Le 9ème Prix des Lecteurs du Télégramme # 2

"Les femmes du braconnier" Claude Pujade-Renaud. Roman. Actes Sud, 2010.

Avant d'aborder ce très beau roman de Claude Pujade-Renaud, je n'avais jamais entendu parler de Sylvia Plath et de Ted Hughes, ce couple de poètes anglo-américain des années 50-60.
C'est donc à l'aveuglette que je me suis lancé dans la lecture de ce récit qui se situe entre roman et biographie et ai ainsi pu partager les joies, les déboires et les drames qui ont émaillé l'histoire de ce couple très populaire dans les milieux littéraires britanniques et américains des années 60.

Sylvia Plath, américaine d'origine allemande, poètesse à ses heures, poursuit des études littéraires à Cambridge. C'est là qu'elle va rencontrer Ted Hughes, un jeune homme britannique. L'homme est séduisant mais traîne derrière lui une réputation de séducteur invétéré. Les rumeurs le qualifient d'ailleurs à ce sujet de chasseur, de prédateur, de braconnier. Ces adjectifs s'avèrent particulièrement bien employés envers ce jeune poète dont l'inspiration puise essentiellement dans les forces de la nature et dans la sauvagerie animale. Cette attirance envers la nature n'est pas une posture chez ce jeune homme natif du Yorkshire qui aime courir les bois, pêcher et observer les animaux sauvages.
C'est la poésie qui va rapprocher ces deux êtres qu'à priori beaucoup de choses séparent. Elle est américaine, vaguement dépressive (elle a déjà tenté de mettre fin à ses jours quelques années plus tôt), ressent une culpabilité maladive due à ses racines allemandes qu'elle associe sans raisons avec la barbarie nazie de la dernière guerre.
Lui, au contraire, prend la vie comme un fruit qu'il dévore chaque jour avec gourmandise et sensualité. La poésie, les femmes, la nature, le monde animal, sont son terrain de chasse, des domaines dont il tire une énergie phénoménale qu'il retranscrit dans ses poèmes.

Malgré toutes ces différences donc, une sorte de coup de foudre va intervenir entre ces deux êtres, fascinés l'un par l'autre dès leur première rencontre lors d'une soirée estudiantine fortement arrosée.
Quelques mois plus tard, Sylvia Plath et Ted Hughes se marient à Londres. Commencent alors six années d'une vie conjugale où tout semble leur réussir jusqu'au moment où l'attirance et la fascination des premiers jours vient à s'effilocher. Est-ce l'usure due à la trivialité du quotidien lorsqu'il faut porter des enfants, les nourrir, les langer, effectuer les tâches ménagères de chaque jour ? Tout cela est-il compatible avec une carrière de romancière et de poète ? Est-ce la trop grand disparité entre Sylvia, dont la sensibilité est à fleur de peau, et les appétits féroces, animaux, quasi-instinctif de son poète de mari ?

C'est la rencontre avec un autre couple – poètes eux aussi – Assia et David Wevill, qui va mettre le feu aux poudres. Ted, qui vit maintenant depuis plusieurs années avec une américaine blonde, va être rapidement émoustillé par cette Assia, brune et juive d'origine russe, au tempérament volcanique.
Cette rencontre marquera le point de départ d'une lente descente aux Enfers qui va non seulement toucher les principaux protagonistes mais aussi tout leur entourage et va métamorphoser ce quasi-conte-de-fées en une succession de drames.

Ce pourrait être une histoire très banale – celle d'un couple qui s'aime, qui se distend et qui se déchire – comme il y en a tant d'autres. Mais ici Claude Pujade-Renaud met en scène deux géants de la littérature et de la poésie anglo-saxonne et nous fait partager de l'intérieur cette relation en la traitant par le biais de multiples voix : celle de Sylvia Plath, bien sûr, mais aussi de sa mère, de parents, d'amis et de tierces personnes qui croisent à un moment où à un autre la destinée du couple Plath-Hughes. Ces courts chapitres, en particulier ceux où s'exprime Sylvia, plongent le lecteur dans le monde intérieur de cette jeune femme sensible, érudite et passionnée en proie aux vieux démons qui la hantent. La dimension psychanalytique du personnage est d'ailleurs particulièrement bien rendue en ce qui concerne ses peurs, ses obsessions et ses cauchemars refoulés.

En faisant revivre sous nos yeux l'histoire de ce couple fascinant, Claude Pujade-Renaud nous offre un très beau roman polyphonique où s'illustre la difficulté d'accorder les exigences de la création artistique aux trivialités du quotidien, un talentueux récit sur l'influence morbide que peut parfois exercer l'histoire familiale sur le destin de ceux qui en héritent, condamnés à revivre ou à expier des drames et des fautes survenus dans le passé.






Sylvia Plath et Ted Hughes

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Modesta

Pitchipoï

Le-Saviez-Vous ? Vous serez bientôt 99,99% à soutenir le chef de l'Etat!